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31 octobre 2007 3 31 /10 /octobre /2007 19:20
cycliste, tantine, barbe, toupie, diurétique



Il existe des villages reculés aux tréfonds de la mémoire, des lieux qui trépassent avec le dernier souffle de nos aïeux. Des bâtisses qui se décomposent au gré de nos souvenirs défunts. Les escaliers branlants qui y mènent s'évanouissent quand on essaye de les emprunter, lorsque le sommeil bleu tend à nous les rappeler...

C'est dans la torpeur du vide que se réveille un matin Sigismond. Les draps sont froissés, son dos humide de la chute qu'il a rêvé... Cela fait quelques mois déjà que le songe se précise. Une pièce étroite et poussiéreuse se dessine lorsque ses paupières sont closes. Tout lui paraît si familier... Tout a commencé chez le notaire... A la lecture du testament de feu tante Iris, l'homme austère costumé et cravaté avait ouvert un coffre et remis son contenant au jeune homme endeuillé. Celui-ci, absorbé par l'effeuillage du papier kraft qui recouvrait un paquet de photographies jaunies, ne se doutait pas encore de la richesse de l'héritage de sa tantine dont malgré tous ses efforts, il ne se rappelait même plus le visage. C'est seulement chez lui qu'il remarqua cette carte postale. Un cycliste aux traits illuminés par la victoire... Tour de Scourmont 1932. Derrière la carte, un "Au plaisir de te revoir". Des lettres rondes forgeant une écriture appliquée. Oui, c'est ainsi que tout a commencé.

Les cauchemars, les torpeurs d'une terre et d'un foyer qui semblaient le rappeler... Mais cette nuit-là fut différente car du mauvais rêve naît l'insomnie et Sigismond, las des agitations, décide de trouver la clef qui ouvrirait la porte de sa sérénité retrouvée. La carte postale gît sur sa table de chevet... Il fait jouer le hasard et découvre dans le noir l'impensable... Dans l'obscurité, des traits s'illuminent au côté des lettres... On dirait... Oui on dirait comme un plan... une carte. Sur un coup de tête, Sigismond s'engouffre cette nuit-là dans sa voiture et roule vers un lieu reculé de sa mémoire... Scourmont... Village que les cartes contemporaines n'aiment pas à relater. Le bitume a laissé place au fil des décennies à la terre battue... Les virages sont abruptes, l'ascension est rocheuse et l'altitude enivrante... Le temps est en suspens... Mais enfin le jeune homme aperçoit la pancarte que les feuillages tendent à dissimuler. A Scourmont les champs et la civilisation ont laissé place aux bois charnus de forêts abondantes de conifères. Sigismond descend de son véhicule et s'y enfonce serrant entre ses doigts le cycliste en papier glacé... Epuisé, il s'avance cependant éperdument parmi les arbres et sous ses pas se fraye un chemin. Cent fois il manque de tomber, cent pieds le séparent de son but... Puis il la trouve... la vieille bâtisse qui rompait son sommeil...au milieu de nulle part... Les murs de pierre parés d'un lierre verdoyant retiennent cahin-caha l'expiration d'un toit de chaume qui s'affaisse sous le poids des années...

La petite maison centenaire se tient devant lui et lui tire une langue de bois... Sigismond entre... et découvre des cadres... des centaines de cadres.... gisant sur le sol.... se décrochant à un clou près des murs... des cadres éparpillés ici et là... désespérément vides.... Il lui vint alors une idée saugrenue en sortant de sa poche les vestiges de son héritage... Après quelques heures, chaque photographie trouve cadre à son pied... Son labeur terminé, le jeune homme s'assoit à même le plancher et regarde contemplatif les murs aux visages retrouvés... Ses mains rencontrent alors un objet... Le garçon sourit et devine une toupie... Il ne résiste pas à la faire tourner. Le tourbillon du bois fait naître le souvenir... C'est ici qu'il est né... Comment avait-il pu l'oublier ? Des cadres renaît la mémoire... Il reconnaît la barbe et la bougonnerie de son grand-père... Le sourire édenté de sa tantine et le rituel de son thé dont elle cultivait elle-même les feuilles.... « Bois mon enfant, ce breuvage est diurétique et porteur de sagesse » radotait elle sans cesse. Tous ces visages...
Un détail le perturbe soudainement... Les cadres... Sa famille retrouvée... Les visages familiers sont du même acabit que la carte postale du cycliste.... Ce ne sont pas des photographies.... Et avec horreur, il comprend tout... les songes... la chute... Mais c'est trop tard... la chaumière des souvenirs a ravalé sa langue de bois...
Scourmont n'est plus...

FIN

07/10/07
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commentaires

L
Oh oh , je vois que tu as réussi même à caser "cahin-caha", merci :0073:
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D
:D